cavaille coll orgue de Long

CAVAILLE-COLL

Histoire de l'orgue de LONG (Somme)

par Lionel BACQUET

Orgue construit par Monsieur Aristide CAVAILLE –COLL en 1877.

Au début du 19 ème siècle, l'église de LONG était vraiment en très mauvais état. Plusieurs délibérations du Conseil municipal le confirment. Après bien des discussions, le Conseil municipal décide donc de reconstruire l'église entièrement en l'agrandissant et en gardant toutefois le clocher reconstruit à la fin du 16 ème siècle.

dessin de Macqueron . Musée d'Abbeville.

Plusieurs projets sont présentés et le Conseil Municipal retient le projet néo-gothique et le stipule dans ses délibérations du 10 août et 10 novembre 1845 en expliquant que le clocher exigeait une nef et un chœur néo-gothique pour laisser à cet édifice une parfaite harmonie.

Le Conseil municipal décide donc en 1840 de confier à l'architecte abbevillois Hyacinthe VIMEUX le suivi des travaux qui commenceront en 1844 et seront émaillés de nombreux litiges …Monsieur Hyacinthe VIMEUX aura toutes les peines du monde à terminer le chantier… L'église sera rendue au culte le 14 décembre 1851 … une cérémonie de dédicace est lieu le 18 juillet 1858.

Quelques années plus tard, le conseil municipal a voulu donner à cette église un orgue digne de ce magnifique bâtiment que l'on peut apercevoir à des kilomètres. Ces travaux seront financés une nouvelle fois en grande partie par une vente de tourbe.

 

Une église ressemblant à une cathédrale… un orgue majestueux digne d'une cathédrale.

 

Mais une nouvelle fois, comme pour la construction de l'église, la Commune va connaître bien des problèmes pour clore ce dossier.

Un premier marché daté du 6 novembre 1867 signé entre la commune et Monsieur Hyppolyte LORET domicilié en Belgique à Termonde sera dénoncé quelque temps après et on ne verra donc pas la réalisation des travaux.

Puis lors de la réunion de Conseil municipal en date du 15 février 1874, il est décidé de confier l'installation de l'orgue à Monsieur GADAULT, facteur d'orgues domicilié à Rouen. Mais, une nouvelle fois, le 11 février 1877, le Conseil municipal, après là aussi bien des péripéties, décide de résilier le contrat avec le sieur GADAULT.

La Commune signe enfin un nouveau marché de gré à gré le 12 mars 1977 avec… Monsieur Aristide CAVAILLE-COLL domicilié à Paris… La Commune , dans son malheur, a donc eu une chance extraordinaire puisqu'elle va voir son orgue construit par l'un des facteurs d'orgues les plus réputés dans le Monde.

Mais qui est donc Monsieur Aristide CAVAILLE-COLL ?

Né à Montpellier le 3 févier 1811 dans une famille de facteurs d'orgues, Aristide est le fils de Jeanne Autard et de Dominique CAVAILLE-COLL et le frère de Vincent né lui le 30 octobre 1808. La famille vivra en France et en Espagne en fonction des événements de l'époque avant de s'installer à Toulouse en 1827. Là, Aristide, âgé de 16 ans, va perfectionner son apprentissage de facteur d'orgues et recevoir l'enseignement de Urbain Vitry, architecte souvent en relation avec la Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale (S.E.I.N) et avec plusieurs polytechniciens. Jean-Pierre Thomas Boisgiraud, professeur de physique, Félix Borrel et Mallet, ingénieurs des Ponts et chaussées, vont donc former le jeune Aristide CAVAILLE-COLL. Monsieur MALLET fera d'ailleurs connaître l'invention de la scie circulaire par CAVAILLE. En 1832, lors d'un voyage dans la Région, Monsieur ROSSINI rend visite à la famille CAVAILLE-COLL et découvre dans l'atelier familial le poïkilorgue, ancêtre de l'harmonium. Enthousiasmé par cette découverte, il incite Aristide à "monter" à Paris.

En 1833, il remporte le concours ouvert pour la construction d'un grand orgue à l'Abbaye royale de Saint DENIS. Ce sera son premier chef-d'œuvre et apportera tout son savoir-faire… il perfectionnera la distribution de l'air en imaginant des souffleries à pressions diverses, des réservoirs et des boites de régulation de la soufflerie, il mettra en place la fameuse machine Barker (levier pneumatique) et il généralisera l'usage du pédalier à touches et de la boite expressive… il étend les claviers à 56 notes et modifie l'équilibre sonore de l'orgue avec les jeux harmoniques et les batteries d'anches. Cet instrument, construit dans notre belle église, détiendra tout le génie de ce jeune homme de 22 ans.

Il construira de nombreux orgues à Paris (Saint-Roch, la Madeleine , Saint Vincent de Paul, Sainte Clotilde, Saint Sulpice, Notre Dame, La Trinité , le Trocadéro), en province (Rouen, Saint-Dizier, Lisieux, Lyon …) et dans le Monde (San Sébastien, Amsterdam, Bruxelles…). Il semblerait qu'il ait construit plus de 500 orgues au cours de sa vie…

Monsieur Aristide CAVAILLE-COLL fut l'un des plus grands facteurs d'orgues de tous les temps. Il mourra le 13 octobre 1899 à Paris et sera inhumé au cimetière Montparnasse.

Mais revenons à LONG et à la construction de l'orgue.

La construction de la tribune et du buffet d'orgue, de style néo-gothique, avait été confiée à Messieurs Deleforterie Victor et à Paul son fils, tous deux architectes Amiénois. Les travaux furent exécutés en 1875 et au début de l'année 1876 par Monsieur Buisine-Rigot. Voici la description de l'acte d'engagement signé le 18 novembre 1874 par Monsieur DUCLOY, Maire de LONG à l'époque, approuvé par le Préfet en date du 10 avril 1875 : «  Je soussigné BUISINE-RIGOT, menuisier sculpteur à Lille, m'engage à exécuter suivant les plans et devis dressés par Mrs DELEFORTERIE et FILS, architectes à Amiens, une tribune et un buffet d'orgue tout en chêne de haînaut choisi excepté la charpente, le derrière, le dessus du buffet et l'escalier ; ces différentes parties seraient en sapin rouge, orme pour l'escalier et en sapin de Riga pour les portes poutres. Les cinq grandes statues en bois de tilleul peintes en chêne ( tilleul peintes en - ces trois mots ont été rayés sur le devis, ce qui laisse penser que finalement la commune a préféré le chêne ). Les six colonnes portant la tribune dont quatre auraient à l'intérieur des montants en fonte, d'une force suffisante pour porter l'instrument et le buffet et les personnes que pourrait contenir la tribune. e m'entendrai avec le facteur d'orgues pour construire le buffet en lui laissant les ouvertures nécessaires pour l'entretien de l'instrument, toutes les charnières, paumelles, serrures, ancres, molles bandes seront comprises ainsi que le transport jusqu'à la gare de Longpré. La mise en place, l'achèvement complet ainsi que le plafond en enduit sur lattes de chêne du dessous de la tribune. Tous ces travaux seront exécutés avec soin, suivant les règles de l'art et à forfait pour la somme de onze mille quatre cents francs, non compris les honoraires de l'architecte, payable comme suit : six mille francs en avril 1875 et cinq mille quatre cents francs en avril 1876. Le dernier paiement portera intérêt à cinq pour cent.

Fait double à Lille le 8 avril 1874. Signé Buisine Rigot

Anges en chêne (à droite ange tenant une partition, au centre un autre ange jouant d'un instrument à cordes, et enfin à droite un ange jouant d'un instrument à vent)

Le roi David jouant de la harpe

Comme nous pouvons le voir plusieurs essences de bois ont été utilisées pour réduire le coût de l'ensemble. C'est donc dans ce buffet d'orgue, construit normalement pour un autre orgue, celui que devait construire Monsieur Gadault sûrement, que Monsieur CAVAILLE-COLL s'engage à installer le 12 mars 1877 un grand orgue de 19 registres (il en installera 20) distribués sur 2 claviers et un pédalier complet.

Il lui faudra 9 mois pour donner naissance à ce magnifique instrument…

leur

Voici l'intégralité du mémoire général présenté à la commune le 20 décembre 1877 par Monsieur CAVAILLE-COLL. Il donne avec précision la description de l'instrument:

Etat des jeux comparé au devis initial :

Clavier du grand orgue, d'Ut à Sol, 56 notes.

1°Violoncelle ------16 p basse acoustique----jeu nouveau ajouté au devis -62 tuyaux

2° Montre-------8 p conforme au devis----------------------------------- 56 tuyaux

3° Flute harmonique ------8 p à la place du Salcional de 8 p du devis 56 tuyaux

4° Bourdon----------------16 p conforme au devis ---------------------- 56 tuyaux

5° Bourdon---------------- 8 p conforme au devis ---------------------- 56 tuyaux

6° Prestant ---------------- 4 p conforme au devis---------------------- 56 tuyaux

7° Flûte doude------------ 4 p conforme au devis---------------------- 56 tuyaux

8° Quinte------------------ 2 2/3 conforme au devis-------------------- 56 tuyaux

9° Doublette-------------- 2 “ conforme au devis---------------------- 56 tuyaux

10° Plein-jeu------------- 3rg conforme au devis---------------------- 168 tuyaux

Soit 678 tuyaux 

2 ème clavier Récit expressif d'Ut à Sol. 56 notes

11° Corde de nuit---------8 p conforme au devis --------------------- 56 tuyaux

12° Viole de gambe ----- 8 p conforme au devis --------------------- 56 tuyaux

13° Flûte octaviante----- 4 p conforme au devis ---------------------- 56 tuyaux

14° Voix céleste--------- 8 p conforme au devis ---------------------- 44 tuyaux

15° Trompette----------- 8 p conforme au devis ---------------------- 56 tuyaux

16° Clairon ------------- 4 p conforme au devis ----------------------- 56 tuyaux

17° Basson et Hautbois 8 p conforme au devis ---------------------- 56 tuyaux

Soit 380 tuyaux

Total : 1058 tuyaux

 

Clavier de pédales d'Ut à Fa. 30 notes

18° Soubasse ----------16 p conforme au devis ------------------------------ 30 notes

19° Basse-------------- 8 p conforme au devis ------------------------------- 30 notes

20° Trompette-------- 8 p conforme au devis ------------------------------- 30 notes

Nota : Ces trois jeux de pédales sont empruntés aux basses des claviers à mains et peuvent être joués d'une manière indépendante sur le clavier à pédales.

Pédales de combinaison :

Les pédales de combinaison ci-après sont établies conformément au devis, à savoir :

1° Effets d'orage

2° Tirasse du pédalier au Grand Orgue

3° Tirasse du pédalier au Récit

4° Tremolo correspondant aux jeux du Récit

5° Expression pour les jeux de Récit

N.B : Cette dernière pédale d'expression est établie d'après un nouveau système qui permet à l'organiste, non seulement de manier à son gré la sonorité des jeux, mais encore de fixer le degré d'intensité qu'il juge nécessaire en abandonnant la pédale d'expression à un point quelconque de sa course, ce qui lui donne la faculté d'utiliser ses pieds pour manœuvrer le clavier de pédales.

Partie mécanique  :

1° La SOUFFLERIE est établi conformément au devis d'après mon nouveau système de construction à pompes et à réservoirs d'une dimension en rapport avec le nombre et l'importance des jeux de l'orgue. Elle se compose de trois réservoirs superposés alimentés par une double pompe qu'on peut faire manœuvrer à l'aide d'un double levier, de façon à pouvoir la mettre en jeu par un ou deux souffleurs au besoin. Les dimensions de cette soufflerie ont été augmentées de façon à pouvoir alimenter convenablement tous les jeux du devis primitif et le jeu complémentaire de Violoncelle de 16 pieds qui a été ajouté pendant l'exécution de l'orgue. (C'est d'ailleurs la seule chose qui ait évolué puisque cette soufflerie a été électrifiée)

2° Les SOMMIERS sont construits en beau bois de chêne et à double laye de soupapes, d'après mon nouveau système. A raison des dispositions spéciales du buffet les sommiers sont divisés en trois parties d'une étendue plus qu'ordinaire, ce qui a permis de loger convenablement tous les jeux pour faciliter l'entretien de l'accord et du mécanisme.

3° Le MECANISME GENERAL de l'orgue, les abrégés pour la transmission des mouvements des registres de même que les différents leviers et équerres sont établis avec des matériaux de choix et ajustés avec précision.

4° Les CLAVIERS à mains sont en beau bois de chêne, les touches plaquées en ivoire, les dièzes en ébène et les châssis en bois de palissandre. Le clavier à pédales, de forme allemande, est également en chêne, les dièzes plaqués en bois des îles.

BOITE EXPRESSIVE : Les jeux du clavier de Récit sont enfermés dans une grande boite expressive munie de jalousies mécaniques mises en jeu au moyen d'une pédale à double action qui permet à l'organiste de manier la sonorité des jeux et de jouer avec expression.

TUYAUX DE MONTRE : Les tuyaux de la Montre , qui décorent le buffet, sont établis en étain brillant polis et brunis avec leurs embouchures à écusson.

Ces tuyaux, au nombre de 35, et de grande dimension, sont solidement établis et servent de basse aux jeux de montre.

Prix : Le prix de la partie mécanique et instrumentale de l'orgue décrit au devis a été évalué et fixé à la somme de 22 000 francs.

TRAVAUX COMPLÉMENTAIRES ET DE PERFECTIONNEMENT :

Ainsi qu'il est expliqué dans le mémoire ci-dessus, il a été ajouté à l'orgue un jeu de Violoncelle de 16 pieds , avec Basse acoustique, composé de 62 tuyaux, de grande dimension, et qui donne à la sonorité de l'orgue le caractère grave et imposant d'un orgue de cathédrale. La valeur de ce jeu avec le complément du sommier et des pièces gravées pour le recevoir, son mécanisme spécial et l'augmentation proportionnelle de la soufflerie est estimée à 3000 francs.

Indépendamment de l'addition de ce jeu, le plus important de l'orgue, il a été ajouté une Flûte harmonique de grosse taille, en lieu et place du jeu de Salcional, qui donne à l'instrument une sonorité plus puissante et mieux en harmonie avec l'ensemble de l'orgue.

Je dois faire remarquer en terminant qu'à (en) raison de l'importance du buffet, l'établissement des tuyaux de la Montre en étain de grande dimension a donné lieu à un supplément de dépense important, et que le prix de revient de cet orgue dépasse la somme qui a été fixée par le Marché.

J'ose donc espérer que Monsieur le Maire et les Membres du conseil municipal et de la fabrique voudront bien accueillir favorablement le supplément de dépense auquel a donné lieu l'addition du jeu de 16 pieds , non compris dans les obligations du devis et marché, et que j'estime en toute conscience à la somme de 3000 francs, ce qui porterait le total de la dépense de l'orgue à la somme totale de 25 000 francs.

Certifié sincère et véritable à Paris

Le 20 décembre 1877

Aristide CAVAILLE-COLL

M.Chesnier, organiste à Saint-Valéry, qui nous réjouit chaque année au Feu de la Saint Jean .

Nous pouvons voir les boutons de jeux de chaque côté et la console de remplissage d'air à gauche en haut.

Ce magnifique orgue a été inauguré le 23 décembre 1877… l'organiste du jour a été Monsieur Guilmant, organiste à Paris ... une plaque de cuivre fixée au-dessus des claviers en atteste.

Nous pouvons remarquer que l'orgue a été inauguré par Monsieur de Rouvroy, Maire

qui avait remplacé Monsieur Ducloy à la tête de la Commune.

Deux des ouvriers de la maison Cavaillé-Coll ont laissé leurs signatures sur l'orgue...Messieurs Barthélémy et Roca.

Voici maintenant les différents organistes qui ont ou ont eu la joie de jouer sur cet instrument. La première organiste fut la sœur de l'Abbé Carnoy, curé de Long Elle a quitté Long en octobre 1882. La commune a décidé tout de suite de payer un professeur pour former des organistes… Messieurs Louis Lourdelle et Emile Carpentier (père de Gaëtan qui deviendra Maire de la Commune et qui mourra dans le train de la mort en juin 1944) ont donc joué à tour de rôle. Puis ce fut Madame Ida Machy née Tillier qui jouera jusqu'en mai 1967. Elle sera remplacée quelque temps après par Madame Geneviève MARAND tout aussi passionnée qui montera encore, bien que très malade en 2002 voir son orgue; elle décédera le 4 juin 2003. Aujourd'hui notre organiste est Madame Marie-Bernadette LEPINE qui a pris la relève avec enthousiasme et qui organise avec l'aide de Long Animation des concerts régulièrement. La Commune de Long a la chance parfois d'avoir un concert décentralisé du festival de Saint-Riquier.

Mme Ida Machy née Tillier

Aujourd'hui, Monsieur Laurent PLET, facteur d'orgues à Macey, après avoir restauré ce Cavaillé-Coll dans les années 1989-1990 avec pour Maître d'oeuvre Monsieur Jean-Marie MEIGNIEN, vient l'entretenir, avec toute la passion qui l'anime, chaque année. Il a remplacé Monsieur ASSELIN lui aussi facteur d'orgue qui avait pour le centenaire en 1977 nettoyé l'instrument..

Cet orgue a tout au long de ces années connu de vrais amoureux, en voici quelques uns… l'Abbé Koeyman qui a organisé les premiers concerts lors des "beaux soirs de LONG", le curé de Raeve, Messieurs Geoffroy Asselin, Paul DANTEN, Michel BESSON, Madame MARAND, Monsieur Georges LARTIGAU Président des Amis des orgues Cavaillé-Coll, Monsieur LOISEMANT, Monsieur Kurt LUEDERS ( organiste de talent Américain et membre des Amis des orgues Cavaillé-Coll et surtout grand amoureux de l'orgue de LONG). Le Cavaillé-Coll de Long ne craint donc rien pour les années futures et restera l'un des plus beaux joyaux de ce facteur d'orgues génial…

 

Sources: Archives communales et départementales, site consacré à Cavaillé-Coll: www.cavaille-coll.com,

Remerciements à Madame Geneviève MARAND, Monsieur Laurent PLET et à Monsieur Paul DANTEN.l